Jules Verne par H.R. Lottman, une biographie à fuir ...
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Où après avoir dévoré de nombreux documents et précédentes biographies de Jules Verne, Lottman régurgite le tout dans un bric à brac glacial qui transforme l'auteur des Voyages Extraordinaires en une sorte de poisson froid incompréhensible.

En 1997 est parue une biographie de Jules Verne par H.R. Lottman aux éditions Flammarion. L'auteur (biographe confirmé, nous dit-on). doit être anglais ou américain puisqu'il s'agit d'une traduction. La lecture de ce livre m'a passablement agacé. Certes, Lottman a fait de bonnes recherches documentaires (en frappant aux bonnes portes, et j'oserai dire en pillant à tord et à travers) mais je n'y ai rien trouvé d'original. Chaque fois qu'il cite des lettres ou articles, il le fait d'une manière si partielle, que cela n'a guère d'intérêt. J'aurai cent fois préféré lire les entretiens du journaliste américain Robert Sherard avec Verne plutôt que leur résumé ou surtout les interprétations qu'en fait Lottman... Mais le biographe trouve sans doute ce qu'il a à dire plus intéressant que les documents originaux. Il faut dire que les interprétations de Lottman sont assez édifiantes :

Par exemple, l'insistance étrange de Lottman sur la soi-disante avarice de Verne me parait absurde. la vie de l'auteur montre, me semble-t-il le contraire. Sur quoi se base le biographe pour démontrer cette avarice? Sur des faits concrets? Non, Verne aurait un "tempérament anal" ce que Freud en personne associe a "Avarice, pédanterie et obstination" ...CQFD...
Verne avait aussi, il me semble, un tempérament oral... J'ai peur des conclusions de notre apprenti psychanalyste !

Quant aux affirmations de Lottman sur les romans verniens, elles sont parfois surprenantes. Par exemple le très joli "Une ville flottante" serait, je cite : "le mélange d'une intrigue en mal d'inspiration et de descriptions interminables rendant le livre aussi ennuyeux que les premières impressions griffonnées au dos d'une carte postale destinée a la famille. Ce qui prouve encore la justesse de l'observation de l'auteur quant a son inaptitude a écrire sur l'amour."

Pour moi cela prouve surtout l'incapacité de Lottman a apprécier un joli livre. Tant pis pour lui.

"Hector Servadac" serait "un livre ennuyeux et déprimant dont personne ne se souvient plus" ! Je signale que ce roman fut réédite au Livre de Poche . Je déplore avec Lottman qu'un personnage secondaire du roman soit une stupide caricature d'un juif allemand (Isaac Hakhabut). Mais il me semble que cette caricature est plutôt celle de l'argent que d'un juif... Et le portrait du personnage est plutôt amusant. Ce qui est impardonnable dans ce roman, c'est l'assimilation entre juif, argent et usurier. Pour Lottman, "Personne ne ressemble plus au juif caricatural de Jules Verne que Verne lui-même". J'ai l'impression que Lottman, troublé par le personnage d'Hakhabut déraille complètement. D'ailleurs le résumé du livre par Lottman ne parle que de ce personnage secondaire.

Pour "le rayon vert", Lottman cite Verne : "L'héroïne doit être jeune mais très originale, excentrique, tout en restant convenable et cela doit être écrit avec une grande légèreté de main.".
"Aucun lecteur ne niera la 'légèreté' du roman", poursuit Lottman avec de l'humour. Si, moi ! Je trouve que "le rayon vert" est un très beau roman, charmant et poétique.

"L'île mystérieuse n'était en réalité qu'un produit de l'usine Jules Verne a un moment donné." écrit encore notre génial et inspiré biographe... J'ai la naïveté de croire qu'il y a autre chose qu'une production mécanique dans ce roman. Ce qui me semble mécanique, c'est l'usine à fabriquer des mauvaises biographies de M. Lottman. J'ai rarement lu quelque chose d'aussi peu inspiré. Que Lottman n'aime pas Verne, c'est son droit, mais je me demande alors quel intérêt autre qu'alimentaire l'a poussé à écrire ce livre. Lottman se permet d'affirmer que Verne ne maîtrise ni l'orthographe ni la grammaire... Personnellement, je ne vois pas vraiment ce que l'orthographe a à voir avec la littérature mais surtout je trouve assez comique ces remarques venant d'un biographe dont le style approche le zéro absolu (et encore je suis persuadé que la traductrice a amélioré les choses).

"Le docteur Ox" (et les autres nouvelles) ont été écrites car "cela devait évidemment représenter un supplément de revenu". Lottman affirme que Verne a choisi une carrière littéraire pour gagner beaucoup d'argent. Alors que toutes ses lettres montrent une passion précoce pour la littérature et un besoin profond qui le pousse a écrire. Et que dire des contrats catastrophique pour l'auteur signés avec son éditeur Hetzel.

La magnifique nouvelle "M. Ré-Dieze et Mlle Mi-bémol" n'est, sauf erreur, même pas citée. D'ailleurs, et c'est extraordinaire pour la biographie d'un écrivain, le livre ne comprend pas la moindre bibliographie ! Tout ça me donne l'impression que Lottman s'est forcé à lire les Voyages Extraordinaires pour les besoins de sa biographie... Du travail bâclé. Après avoir dévoré tous les documents et précédentes biographies de Verne, il régurgite le tout dans un bric à brac glacial où Verne, au lieu d'apparaître comme un être de chair et de sang avec ses qualités et ses défauts, devient une sorte de poisson froid incompréhensible.

On apprend aussi que Verne est homosexuel (et peut-être même pédophile). Pourquoi pas ? Mais le problème est que Lottman avance tout tout cela sans l'ombre du début du commencement d'une preuve... Le chapitre qui nous explique tout ça (P.225) est d'une logique quasiment surréaliste ! Verne, qui habite alors Amiens, va parfois a Nantes ou habite sa mère et son fils. Mais faire un tel voyage pour voir ses proches n'est pas satisfaisant pour Lottman. Il nous apprend "qu'une explication plus mystérieuse a été proposée, pour les visites de Verne a Nantes pendant cette période, a savoir la pédérastie. La manière dont cette notion s'est fait jour n'est pas bien claire." poursuit le consciencieux biographe. Et de conter les hypothétiques rapports (sous entendu homosexuels) de Verne et du jeune Aristide Briand, futur grand homme politique français ! Suit un galimatias invraisemblable et emberlificoté dont la conclusion par le biographe est qu'il y a la une énigme ! Lottman écrit qu'on ne trouve pas d'autre allusion a une rencontre homosexuelle de Verne, laissant ainsi penser, que le tissu de bêtises qu'il a raconté avant est sérieux...

Olivier Dumas dans sa biographie de Jules Verne (La manufacture) a démonté cette invraisemblable histoire : "Tous ces biographes ne donnent qu'une caricature légendaire de Jules Verne ; chacun reprend les erreurs du premier, trahissant ici leur absence de réalité.". Que Lottman reprenne cela est tout simplement consternant.

Bon, j'arrête la... Il y aurait encore beaucoup à dire... Et ce triste bouquin ne le mérite pas.

Comme vous vous en doutez sans doute, je ne vous conseille vraiment pas l'achat de ce livre sans âme et sans grand intérêt. Bien sûr, Jules Verne et ses romans sont critiquables ; Mais qu'au moins cela soit fait avec talent, et pas d'une manière besogneuse, visiblement alimentaire et par un biographe qui n'a visiblement rien compris à l'oeuvre de l'auteur dont il veut nous expliquer la vie.

Je recommande plutôt le livre d'Olivier Dumas (Jules Verne, La manufacture), qui, s'il est incomplet, est nettement plus intéressant. A voir aussi, dans la jolie collection 'Découverte Gallimard', le très réussi 'Jules Verne, le rêve du progrès' (Jean-Paul Dekiss). Mais il reste la place pour une grande et complète biographie vernienne...

Pour finir, un extrait d'un roman "ennuyeux, en mal d'inspiration et avec de descriptions interminables". Jules Verne visitant les chutes du Niagara, a la tombée de la nuit:

"Le soleil s'était couché derrière les collines assombries. Les dernières lueurs du jour avait disparues. La lune, demi-pleine, brillait d'un pur éclat. L'ombre de la tour s'allongeait sur l'abîme. En amont, les eaux tranquilles glissaient sous la brume légère. La rive canadienne, déjà plongée dans les ténèbres contrastait avec les masses plus éclairées de Goat Island et du village de Niagara Falls. Sous nos yeux, le gouffre, agrandi par la pénombre, semblait un abîme infini dans lequel mugissait la formidable cataracte. Quelle impression ! Quel artiste par la plume ou le pinceau, pourra jamais la rendre. Pendant quelques instants, une lumière mouvante parue a l'horizon. C'était le fanal d'un train qui passait sur ce pont du Niagara, suspendu a deux milles de nous. Jusqu'a minuit, nous restâmes ainsi, muets, immobiles, au sommet de cette tour, irrésistiblement penché sur ce torrent qui nous fascinait. Enfin, a un moment ou les rayons de la lune frappèrent sous un certain angle la poussière liquide, j'entrevis une bande laiteuse, un ruban diaphane qui tremblotait dans l'ombre. C'était un arc-en-ciel lunaire, une pâle irradiation de l'astre des nuits, dont la douce lueur se décomposait en traversant les embruns de la cataracte."

Jules Verne, Une ville flottante

En modifiant à peine une phrase de ce roman, je dirai :
"Jamais je n'éprouvai envie plus féroce de jeter un (biographe) à la mer."

Gilles Carpentier
Mis à jour le1/03/99

Jettez cette biographie et jettez-vous sur celle de Jean-Paul Dekiss, L'Enchanteur


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